Quenot, J. P. Statistique du département de la Charente, Paris, 1818 (extrait).
Les ravages de cet insecte sont moins sensibles aujourd'hui qu'ils ne l´étaient autrefois. En 1767, 1758 et 1769, ils furent tels, qu'ils excitèrent l'attention du gouvernement, et monsieur le contrôleur-général des finances adressa à l'Académie, au mois de juin 1760, des ordres du roi, en conséquence desquels MM. Duhamel et Tillet, académiciens, partirent au commencement de juillet pour aller sur le lieu même, observer les circonstances du mal, et mettre l'Académie en état d'y trouver un remède, s'il était possible. Chasseneuil fut le théâtre de leurs observations, et ils n'épargnèrent ni peines ni soins pour remplir le but de leur mission. Après avoir reconnu la nature de l'insecte destructeur, et l´avoir attentivement suivi dans ses métamorphoses et dans ses moyens de destruction, ils proposèrent, pour l'anéantir, de soumettre les grains qui commençaient à en être attaqués à la chaleur d'une étuve ou à celle d'un four dont on vient de retirer le pain. Cette méthode, qui fut adoptée, et assez généralement suivie par les cultivateurs, a sans doute diminué les effets du plus grand fléau que nos récoltes aient à redouter.
Mouture
On compte dans le département de la Charente neuf cent quatre-vingt-onze moulins à farine, dont huit cent soixante-sept moulins à eau et cent vingt-quatre moulins à vent. Ils sont distribués entre les arrondissemens, ainsi qu'il suit :
- Arrondissement d'Angoulême : 299 moulins à eau, 13 moulins à vent
- Arrondissement de Barbezieux : 173 moulins à eau, 74 moulins à vent
- Arrondissement de Cognac : 133 moulins à eau, 12 moulins à vent
- Arrondissement de Confolens : 146 moulins à eau, 12 moulins à vent
- Arrondissement de Ruffec : 116 moulins à eau, 25 moulins à vent
Total : 867 moulins à eau, 124 moulins à vent
Tous les moulins à eau sont à roues perpendiculaires, excepté dans l'arrondissement d'Angoulême, où trois seulement sont à roues horizon-tales. On ne connaît pas ici de distinction entre la mouture économique ou à la Parisienne, et celle à la grosse ou à la Lyonnaise ; mais deux espèces de farines sortent des moulins, selon qu'ils sont construits avec ou sans bluttoir. La farine qui, dans le moulin, a passé au bluttoir, s'appelle minot, fleur de farine, ou fine fleur ; l'autre se nomme farine ordinaire : la première se livre aux particuliers qui font leur pain chez eux, et leur est distribuée par des domestiques de moulins, appelés chasserons ; l'autre se donne aux boulangers, qui se chargent de séparer le son. Les cultivateurs, qui trouvent plus économique de retirer du moulin la farine et le son, en font la séparation avec un crible.
Les moulins sont, les uns à un seul tournant, les autres à deux, trois et jusqu'à cinq. Lorsqu'il n'y a qu'un seul tournant dans un bâtiment, on y moût indistinctement le froment et la grossaille, tel que le maïs, la baillarge (espèce d'orge), le méteil et le sarrasin ; mais alors la farine de froment n'est pas aussi belle que dans les moulins destinés pour cette seule espèce de grain. Ces moulins à tous grains s'appellent moulins bâtards, et sont en général peu fréquentés. Quelquefois on établit dans un même bâtiment deux moulins, qui sont mis alternativement en activité par une seule roue ou tournant, et ceux-ci sont le plus ordinairement situés sur les ruisseaux et les petites rivières.
Lorsque deux tournans font mouvoir deux moulins dans le même bâtiment, l'établissement se nomme alors moulin turquet : l'un est destiné pour le froment, et l'autre pour la grossaille : quand il y a trois tournans, le troisième est souvent réservé pour des légumes ou des grains encore moins importans que le beau maïs ou la baillarge.
La plupart des moulins du département étant d'une construction assez imparfaite, ils ne peuvent moudre, l'un portant l'autre, qu'environ 350 kilos de farine par jour, à l'exception de trois ou quatre qui, d'une construction plus moderne et mieux entendue, peuvent en donner jusqu'à 1000 kilogrammes : cette différence doit faire évaluer à 4oo kilogrammes la quantité de farine moulue chaque jour par les moulins de la Charente, et à 1446860 quintaux métriques celle qu'ils fournissent chaque année à la consommation.
Cette quantité excède de moitié la quantité de farine que peuvent annuellement donner les grains récoltés dans le département, et de près d'un quart celle nécessaire à la consommation des habitans ; mais cette différence n'étonnera pas, lorsque l´on saura que les importations de farineux dans la Charente ne se font qu'en grain, et que le commerce, outre ce qui doit compléter les besoins de la consommation, en fait venir encore une grande quantité qui, après avoir été moulue, est dirigée sur Rochefort, La Rochelle, et souvent même sur Bordeaux. Les principaux moulins du département sont établis sur la Charente et sur la Touvre. Le village appelé Pontouvre, près d'Angoulême, contient parmi les moulins ordinaires ceux qui sont les plus estimés. Ceux de Condac, La Chapelle, Saint-Cibard-sous-Angoulème, et Gondeville, près de Jarnac, sont les plus beaux et les meilleurs. Ceux de Condac, près de la petite ville de Ruffec, méritent une attention particulière. Dans les premières années de leur construction, commencée en 1771, on y employait trois espèces de meules que l'on tirait, l'une de la Ferté-sous-Jouare (Seine-et-Marne), l'autre de Bergerac (Dordogne), et la troisième, de Chaunay (Vienne) ; mais on a fini par reconnaître que celles de Chaunay suffisaient pour la fabrication de toute espèce de farine, et l'on ne se sert plus que d'elles aujourd'hui. Le soutre et la meule coûtent 600 francs, rendus sur les lieux. Le mécanisme pour la fabrication du minot ne laisse rien à désirer. Lorsque les farines étaient destinées pour la marine française ou pour l'étranger, on tirait les fromens du Poitou, de la Touraine ou de la Beauce ; mais actuellement on s'approvisionne aux marchés de Ruffec, et, en cas d'insuffisance, on a recours seulement au Poitou. Les farines se débitent à Ruffec, Angoulême, Cognac, Saintes et Rochefort. Ce fut M. le comte de Broglie qui fit bâtir ces moulins, sur le plan de ceux de Corbeil près Paris ; son but était d'introduire dans sa terre la mouture économique, et suivant son projet, projet qui fut adopté alors par le gouvernement, ces moulins devaient suppléée ceux, de Moissac (Tarn-et-Garonne), dont les farines ne pouvaient, en temps de guerre avec les Anglais, arriver à Rochefort sans courir le risque d'être enlevées. Ce superbe établissement devait être encore agrandi ; outre les magasins et les deux étuves qu'on y avait ajoutés, on devait y établir une amidonnerie et une poudrière pour utiliser les sons gras et les gruaux qui ne pou-vaient être emportés par le commerce ; mais tous ces moulins ont été vendus, à la révolution, à différens propriétaires, et ne sont aujourd'hui employés qu'à la mouture des grains des particuliers.
Les meules qui s'emploient dans les moulins du département de la Cha-rente proviennent ordinairement des carrières de Crage, nom d'un vaste plateau calcaire, parallèle à celui sur lequel est bâtie la ville d'Angoulême ; elles coûtent 60 fr., prises sur les lieux. Ces meules sont tendres, et ne durent qu'environ deux ans si elles sont bien employées ; mais leur bon marché dédommage de leur peu de durée. On en tire encore des coteaux qui s'étendent entre les communes de Claix et de Roullet, ainsi que des carrières de Château neuf, Chevenceau (Charente-Inférieure), Saint-Megrin et Bergerac (Dordogne).